L'autorité du moindre mal vient du Christ, par Elisabeth Dufourcq
Le Saint Père est venu en Afrique, pour "dénoncer les forces extérieures qui exploitent les faiblesses du cœur humain, attisent les guerres pour vendre des armes, soutiennent ceux qui sont au pouvoir au mépris des droits de l'homme et des principes démocratiques"[1].
Qui, mieux que le chef spirituel d'une religion qui dispute à l'Islam le titre de plus grande religion du monde, est aujourd'hui assez indépendant pour dire ces choses-là ? Personne. La place du pape dans le monde est irremplaçable. Le nier serait faire une politique du pire. Du reste, lorsque le Saint Père constate, avec d'autres, que "le préservatif ne résout pas le problème du Sida", il joue son rôle de guide paternel, soucieux de conjurer le fléau dans toutes ses dimensions.
On est d'autant plus blessé de voir son autorité tournée en dérision. Une fois de plus, le mal est fait. En un éclair, Benoît XVI a dévoilé au monde stupéfait l'ignorance du cercle qui l'informe. Non, Très Saint Père, l'usage responsable du préservatif n'"aggrave" pas le SIDA ! Le XXe siècle nous a trop appris qu'à partir de généralisations biaisées, une logique implacable peut conduire à des catastrophes.
Au delà de toute polémique, l'explication désarmée que certaines personnes autorisées furent contraintes de donner a posteriori dénote aussi une méconnaissance pathétique des méthodes qui permettent de faire reculer les épidémies.
En termes de prévention ou de traitement à l'échelle de populations touchées par des maladies transmissibles, en effet, la plupart des progrès accomplis depuis près d'un siècle, l'ont été grâce à des comparaisons très précises de fréquences et de gravité des risques, en d'autres termes, grâce au calcul des probabilités, sans lequel aucun traitement ni aucun médicament n'est aujourd'hui validé.
Réfléchissons un instant à l'explication donnée :
- La probabilité qu'un homme soit infecté et transmette son infection à une femme par un préservatif emprunté à un ami existerait-elle si cet homme avait normalement accès à des préservatifs ?
- A l'échelle de l'Afrique, le risque d'infection par un préservatif vieux ou sale est-il un cas plus fréquent que les millions de transmissions infligées, faute de préservatifs, par des rapports sexuels non protégés?
Soyons sérieux : les dissertations sur la loi naturelle selon Aristote et saint Thomas, risquent de prendre des accents prométhéens lorsqu'elles placent le concept au-dessus de la vie. Quand le mal est mortel, toute femme le sait, il faut choisir le moindre pour le conjurer.
Le nier est dangereux.
Que faire ? C'est un devoir des laïcs, d'oser dire, au moins qu'une réflexion sur la loi naturelle ne peut être préparée sans danger par un cénacle d'hommes qui s'appuient sur des textes antiques et médiévaux et ont, de surcroît, prononcé le vœu de renoncer à toute vie sexuelle. Ce vœu est respectable et respecté en termes de noces mystiques, mais il est lourd de conséquences, en termes d'expérience de la vie. Que des hommes comblent le manque qu'ils ont choisi ou que la logique de l'institution leur impose, en légiférant entre eux sur la vie des couples, c'est, non seulement imiter ceux qui n'ont que "mépris pour les principes démocratiques", mais s'exposer à la risée.
Dans la vie de tous les jours et de toutes les nuits, en effet, ce sont les cas imprévus et parfois limites qui révèlent, à l'évidence, les limites de la Loi, même si cette loi indique l'absolu.
Le Christ n'a jamais nié ce paradoxe. Il n'abroge pas un iota de la Loi, mais Il guérit un jour de sabbat et ne condamne pas la femme adultère. Il se laisse toucher par une femme intouchable et l'envoie, guérie, en mission : "Va, ta foi t'a sauvée" Non pas "Je te sauve", mais, avec un infini respect de l'Esprit présent en elle : "Ta foi t'a sauvée".
Il faut imiter le Christ lorsqu'il soigne. Vous qui informez le Saint Père, n'aggravez le malaise de ceux qui quittent l'Eglise à bas bruit !
Elisabeth Dufourcq
Ancien ingénieur de recherches dans l'unité INSERM
Maladies tropicales et Sida de la Pitié Salpétrière ( 1984-1995)
Ancien membre du comité national d'Ethique
Auteur de l'Histoire des Chrétiennes ( Bayard réédition 2009)
[1] Document de 60 pages distribué aux évêques à la suite de la messe célébrée le 19 mars dans le stade de Yaoundé.